[Les fonds de tiroir] Filth

BONJOUR.

Je tiens à vous prévenir tout de suite, je suis assez énervée, j’ai passé la journée à dessiner des cuillères et des tasses. Et quand je suis énervée, d’habitude je fais des sketch sales de gens qui se battent ou qui se mutilent, mais aujourd’hui j’en ai par-dessus la tête des sketch donc j’ai décidé d’utiliser mon énergie à autre chose et de vous présenter un tout nouveau concept : l’écriture de tests pour des films interdits aux moins de dix-huit ans.

Non, je ne parle pas de films pour adultes, mais presque. Aujourd’hui, nous allons parler de Filth.

Ce qui signifie qu’avant toute chose s’impose une mise en garde : je garderai ce post tout public pour des raisons évidentes de respect de mon lectorat – NEANMOINS le film dont je parle est réellement interdit aux moins de dix-huit ans. Et cet avertissement n'a aucune valeur légale donc je ne me protège pas en disant ça, mais je protège vos âmes sensibles : ce film est violent et vous devez en tenir compte si vous souhaitez le regarder. Ou même si vous comptez regarder le trailer.

Je veux dire, tout est dans le titre. Je peux difficilement faire plus clair.

Maintenant, pour ceux qui sont toujours là pour un petit voyage tout à fait acceptable dans l’atmosphère dérangée d’un film policier à tendance explosive, je vais faire de mon mieux pour vous en faire sentir le piment sans vous en montrer la… couleur.


Filth est un film de 2013 basé sur un roman du même nom écrit par l’écossais Irvine Welsh (traduit en français sous le titre Une Ordure). Le film a été réalisé par Jon S. Baird et Irvine Welsh, d’après un scénario écrit par Jon S. Baird et Irvine Welsh. Jon S. Baird n’a rien fait de notable donc on s’en fout un peu ; en revanche Irvine Welsh est l’auteur du livre Trainspotting, dont l’adaptation a été réalisée par Danny Boyle, et fait partie de ces auteurs qu’on considère comme une nouvelle génération du postmodernisme. Je ne vous ferai pas de cours sur le postmodernisme mais vous pouvez savoir qu’on y associe aussi Chuck Palahniuk, l’auteur de Fight Club, ou Neil Gaiman (qui est un génie), des gens qui manient l’ironie et l’acidité dans leurs mots avec une aisance particulièrement orgasmique (quoi, c'est très à propos dans le contexte), en plus d’avoir une tendance à jouer sur la forme du récit et sur des modes de narration assez inattendus pour augmenter l’impact du texte. Par exemple toute une partie d’une ordure est narrée par le vers solitaire du héros. Oui, je vous vois, les sceptiques du fond. Un ver solitaire, tout à fait.

Et je vous explique ça, non seulement pour que vous compreniez qu’Irvine Welsh est badass (déjà c’est un écossais, les écossais sont rock’n’roll) mais aussi parce que le film tient de ça. On n’y voit aucun ver solitaire mais la narration saute parfois d’un personnage à un autre pour vous raconter l’histoire selon un autre point de vue, coupe brutalement l’action pour vous donner un peu plus de contexte, et a cette tendance géniale mais aussi vaguement effrayante à s’adresser directement au spectateur. Les yeux dans les yeux.


Et parlons donc de cette narration, justement. Filth raconte l’histoire du « Detective Sergeant Bruce Robertson » (à imaginer en roulant les R), joué par James McAvoy – qui pour l'occasion transpire la perfection – un policier écossais aux habitudes plutôt malsaines, accro à un tas de substances, couvert d'eczéma (ouais, je trouve que c’est important pour vous faire sentir le dégoût qu’inspire ce personnage), et pas mal dérangé en résumé. Bruce Robertson a perdu sa femme et sa fille, mais mademoiselle reviendra si Bruce obtient la promotion qui lui est promise à la fin de son enquête, parce que tout ceci n’est qu’un jeu entre deux personnes malsaines et que le couple est en réalité très heureux ainsi, n’est-ce pas ?

L'enquête concerne un meurtre commis dans une ruelle obscure et malodorante et Bruce va profiter de ses errances de dealers en maisons de passe pour évincer par des méthodes tout à fait ignobles chacun de ses collègues susceptibles de réussir à sa place.

On assiste donc à une escalade de situations plus inconfortables les unes que les autres, qui rendent le personnage principal extrêmement antipathique, parce qu'immoral et manipulateur ; mais celui-ci forçant les autres à se montrer sous un jour tout aussi peu flatteur de manière à pouvoir les faire condamner, cette accumulation d'horreurs finit par se transformer en spirale de désespoir dans laquelle on ne sait plus très bien qui il faut plaindre et où on réalise, comme si ce n’était pas encore évident, que ce gars est fou. Enfin je veux dire, il y a des indices, beaucoup d’indices, et même sans ça on sent rapidement qu’il y a quelque-chose de bancal – n’est-ce pas ? – mais le retournement de situation est juste là pour vous asséner le coup de grâce. Derrière la tête. Avec une brique. C’est pas un truc où tout à coup tu comprends comme dans Fight Club, puisque je le citais plus haut. Il y a, étrangement, le même sentiment de désespoir que dans Fight Club, le même genre de personnage désabusé qui tente de s’en sortir à travers une surenchère de violence. Mais Filth vous installe dans une atmosphère dégueulasse dans la joie et l’overdose de cocaïne, tout ça pour vous annoncer au final que vous n’avez fait que gratter la surface, qu’il n’y a rien à faire, que rien ne va s’arranger, et que vous allez juste finir dans un trou de rat avec vos larmes pour seule compagnie.


Alors je vous parle un peu de ce film parce que je voulais tenter le coup. J’en parle un peu parce que j’ai cette addiction particulière aux histoires tristes et horribles. Mais je vous en parle surtout parce que ça me permet d'aller un peu plus loin que mes habituels « voilà, c’est beau ».

Vous savez, chaque fois que je présente quelque-chose de nouveau ici je me demande pourquoi je spamme le forum de trucs qui n’ont rien à voir avec les jeux-vidéo. C’est vrai quoi, je ne dis pas ça comme un reproche ou quoi que ce soit mais la moitié des gens ici n’ont plus lu un "vrai" livre depuis très longtemps et regardent peu de films en dehors de ce qui s’apparente à de la "culture geek". Et pourtant, j’ai le sentiment qu’un produit culturel répond à un autre, que le jeu-vidéo a beaucoup pris au cinéma et que le cinéma emprunte aussi au jeu-vidéo maintenant qu’il commence à sentir ce que ça peut apporter, et que les deux sont basés sur des histoires vieilles comme le monde qu’on a détournées et transformées en des milliers d’autres depuis la nuit des temps. Je pense qu’on peut en apprendre sur les jeux en s’intéressant à des choses qui n’en sont pas.

Tenez, par exemple, voici une information qui n’a aucun intérêt pratique, mais le livre Une Ordure a été publié en 1998, soit un an après la sortie du premier GTA – qui par ailleurs est développé par une société écossaise, c’est marrant. Donc pendant que la moitié du monde se demandait s’il fallait censurer ou non un jeu violent et immoral, un gars, dans le même pays donc, sortait un bouquin où un type en force d’autres à commettre des actes immoraux pour les mettre hors-jeu. Est-ce que ça ne remet pas un peu en question votre avis sur la polémique autour de GTA ? Et même si ce n’est pas le cas, maintenant que je vous l’ai dit, vous n’allez pas pouvoir vous empêcher d’y réfléchir n’est-ce pas ? Eh bien, vous voyez, je pense que l’idée de vous présenter des trucs différents et dérangeants, c’est aussi pour vous sortir de votre zone de confort. Filth, quelque-soit la façon dont on le regarde et l’approche qu’on choisit d’avoir, est là pour nous sortir de notre zone de confort. En lui-même déjà, parce qu'il crée un climat dans lequel les victimes et les bourreaux sont tous aussi dégoûtants les uns que les autres et donne une image très pessimiste de l'humanité, et aussi dans la manière dont il existe par rapport à tout ce qui existe d'autre. C'est pour ça que c'est un bon film.

Alors, je me suis dit que finalement, c'était pas si inapproprié que ça de parler d'un film aussi dérangeant sur une plate-forme tout public. Et je vous invite donc au dialogue par la même occasion - quelle que soit la discussion que cet article vous inspire. Sachez cependant que ce film ne sortira pas au ciné chez vous, mais directement en DVD si on a de la chance. Pour les plus curieux, j'ai un fichier HD tout à fait illégal en VOSTFR - et comme ça vous pourrez profiter de l'accent absolument délicieux du casting intégralement écossais. Mais en tout cas, restez alertes. Le monde est plein d'expériences fascinantes et Filth pourrait bien en être une pour vous.

Et bien. J'attendais un article énormément plus trash, genre Le Corps Exquis, et au final c'est soft. Le fond est au final assez peu présent, donc ça donne plus un aspect teaser/aperçu qui me semble assez adapté vis-à-vis du forum (même si, pour Le Corps Exquis, j'ai adoré l'article et je ne t'encourage pas du tout à le retirer : il est bien ici).

La problématique que tu développes est importante. Non, ici, on ne parle pas que de jeux vidéos et oui, la certaines personnes ici n'ont pas ouvert un bouquin depuis plusieurs mois/années (?) juste pour le plaisir. Et pourtant, cette diversité que tu vous apportes est une vraie richesse, pour toutes les raisons que tu as cité.

Je suis d'avis qu'il ne faut pas se concentrer uniquement sur un seul domaine. On est dans le champ de la culture ; chaque apport est important. Peut-être simplement au final parce que ces médias ont pour but de raconter une histoire. En les étudiant et en regardant ailleurs -en dehors de notre zone de confort-, peut-être devenons-nous aussi de meilleurs communicants ?

Donc tes problématiques et tes articles sont tout à fait dans l'esprit du forum. Pour moi, il est clair que tu as carte blanche pour nous présenter ce que tu veux. Si c'est trash, met un disclaimer, mais ne te retient pas dans l'écriture.

C'est dans l'idée d'un teaser que je l'ai fait, ouais. J'ai longuement hésité à détailler un peu plus, mais d'une part, vu qu'on n'a pas encore vraiment déterminé notre politique concernant le contenu mature je ne savais pas dans quelle mesure je pouvais me permettre d'être trash en effet, et d'autre part si je commence à vous raconter, je peux difficilement détacher ça de morceaux d'intrigue assez importants. Et ce serait dommage parce que passé le "c'est un policier qui fait des crasses à d'autres pour parvenir à ses fins" l'histoire est pleine de rebondissements et de surprises que je ne voudrais pas vous gâcher. :3

Je suis heureuse en tout cas de voir que tu trouves la question pertinente. Ça fait plaisir si je ne me sens pas toute seule à réfléchir un peu trop sur les choses que je découvre. :3 Et je trouve ça important de partager des choses, surtout sur un forum. C'est un lieu pour rencontrer, pour échanger, pour partager. Je pense qu'en effet s'intéresser à toutes les formes d'histoires qu'on peut trouver nous aide à mieux les apprécier et à mieux les raconter nous-mêmes. Surtout quand ces histoires viennent nous bousculer un peu. Alors, si j'ai carte blanche, ça me va. o/ J'adore vous bousculer. <3

Quand j'ai fini de lire le pavé, je me suis senti compris. Non sérieux, j'ai eu la même pensée que toi en sortant d'un film d'horreur (que je conseille fortement, d'ailleurs) qui s'appelle The Grudge. On a la même idée d'un film ultra dérangeant qui nous fait rentrer dans le creux du canapé en plissant les sourcils. C'est ce genre de film qu'on retient le plus avec les comédies et les drames. T'es tout à fait en droit de parler d'un des sentiments primaires et universels de l'être humain (le rire, la tristesse, la peur). Je veux dire, même si un enfant de 11 ans lis ce post, il va très bien comprendre que ça met mal à l'aise, et il va détourner son attention, parce que c'est pas ce qu'on recherche à cet âge là.

The Grudge, il faut absolument que je le revoie. Parce que la première fois, il était tard, j'étais super bien installée dans mon lit et comme le rythme était assez lent... je me suis endormie devant. /D

Ceci dit, tu me fais penser à préciser un élément supplémentaire, c'est que Filth est classé comme une comédie dramatique. Donc c'est pas tellement dérangeant comme un film d'horreur, qui va créer un malaise par le dégoût (ou par d'autres voies mais c'est celle-ci qui se rapproche le plus du sujet). Dans Filth y a un humour très cinglant qui accompagne l'intrigue, qui participe à l'effet de malaise parce que les situations sont faites de manière à inviter au rire - sauf qu'elles s'avèrent ne pas l'être.

C'est un peu comme une mauvaise blague. Vous savez, quand on rit d'un truc juste parce qu'on n'en est pas la victime mais qu'on sait que si c'était dirigé vers nous on trouverait ça ignoble. C'est comme ça, sauf que c'est du cinéma et que les points de vue ne cessent de basculer, notre capacité d'empathie ne cesse d'être sollicitée d'un côté, puis de l'autre, et du coup on ne rit plus, ça devient catastrophique et... je me rattache de nouveau à mon post, on sort de la zone de confort. Je pensais sincèrement que j'allais rire devant, et en fait pas du tout.

Bref. J'pourrais avoir des choses à rajouter sur tout ce que vous dites, donc voilà. /D En tout cas, vraiment, si vous trouvez que mes trucs bizarres ont leur place ici, je suis contente. :3